Avec l’essor du télétravail, des outils numériques et désormais de l’intelligence artificielle, la frontière entre subordination et autonomie se transforme. Pour les élus du CSE, cette évolution bouleverse la relation employeur-salarié, les conditions de travail et les droits collectifs. Cet article vous aide à comprendre ces mutations et leurs enjeux pour votre mandat.
Le lien de subordination : un pilier historique du contrat de travail
Le lien de subordination est la pierre angulaire du contrat de travail. La Cour de cassation le définit comme l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur, lequel :
- Donne des ordres et directives ;
- Contrôle l’exécution ;
- Sanctionne les manquements.
Ce modèle, conçu à l’ère industrielle, repose sur un schéma clair :
l’employeur organise – le salarié exécute.

Pourquoi ce modèle est remis en question aujourd’hui ?
Le travail moderne se caractérise par :
- Une fragmentation des tâches ;
- Une autonomie croissante ;
- Des outils numériques qui permettent un contrôle permanent ;
- De nouvelles compétences centrées sur l’initiative et l’analyse.
L’apparition de l’IA générative ajoute une dimension nouvelle : certains salariés ne réalisent plus seulement des tâches mais orchestrent des agents intelligents, ce qui transforme profondément la notion de contrôle.
Télétravail : autonomie choisie ou dépendance renforcée ?
Le télétravail est souvent présenté comme synonyme de liberté. En pratique, son impact sur la subordination est plus ambigu.
Les gains d’autonomie
- Organisation personnelle du temps et de l’espace.
- Réduction des contraintes hiérarchiques visibles.
- Responsabilisation accrue dans la gestion des missions.
Les risques de dépendance accrue
- Multiplication des outils de traçage (logiciels de suivi, analyse des connexions…).
- Confusion vie pro / vie perso, source d’épuisement.
- Isolement du collectif de travail et perte de repères hiérarchiques.
Pour le CSE, ces enjeux doivent être analysés dans le cadre de la consultation sur la politique sociale et des alertes pour risques psychosociaux.

L’intelligence artificielle : un nouveau superviseur silencieux ?
L’utilisation croissante de l’IA dans les entreprises pose une question centrale :
qui contrôle réellement le travail ? Le manager ou l’algorithme ?
Trois situations où l’IA modifie la subordination
- IA de pilotage : affectation des tâches, priorisation, suivi automatisé des performances.
→ Le salarié exécute des instructions… qui ne viennent plus directement de l’humain.
- IA d’assistance (ex. : rédaction, synthèse, calcul) :
→ Le salarié devient « copilote » mais reste responsable des résultats.
- IA décisionnelle (recrutement, évaluations, modulation des objectifs) :
→ Risque de décisions opaques et difficilement contestables.
Enjeux pour le CSE
- Information/consultation sur l’introduction de systèmes algorithmiques.
- Vérification de la conformité au RGPD et au droit à l’explication.
- Analyse des impacts sur la charge de travail, les compétences et la santé.
Le Code du travail : un cadre encore pertinent, mais à adapter
Contrairement à certaines idées reçues, le Code du travail intègre déjà de nombreux outils pour encadrer ces transformations. Cependant, certains ajustements deviennent indispensables.
Ce qui fonctionne encore
- La définition du contrat de travail basée sur la subordination reste opérante.
- Les obligations de prévention des risques couvrent le télétravail et l’usage des outils numériques.
- Les consultations CSE permettent de débattre des innovations technologiques.
Ce qui montre ses limites
- Le contrôle algorithmique n’est pas explicitement défini
Les textes encadrent la vidéosurveillance, la géolocalisation, mais pas les algorithmes complexes de scoring ou d’attribution des tâches.
- La frontière travail / hors-travail s’efface
Notamment avec les notifications permanentes, la messagerie instantanée ou les outils d’analyse automatique des performances.
- Le droit à la déconnexion est insuffisamment effectif
Souvent réduit à une charte sans contrôle réel.
- Les compétences évoluent plus vite que les classifications
Les grilles de salaires historiques peinent à intégrer les nouveaux métiers liés à la data et à l’IA.

Vers un nouveau modèle : du salarié exécutant au salarié autonome-responsable
Le travail évolue vers un modèle où le salarié :
- Prend davantage d’initiatives ;
- Organise son activité ;
- Contrôle des outils intelligents ;
- Porte une responsabilité accrue.
Mais cette autonomie reste encadrée par :
- Des procédures ;
- Des objectifs chiffrés ;
- Des outils numériques qui génèrent de la dépendance invisible.
On assiste moins à la fin du lien de subordination qu’à son évolution vers une forme “hybride” : plus souple, moins visible, mais toujours présente.
Quels rôles pour les élus du CSE dans ce nouveau paysage ?
Les élus ont un rôle central pour garantir que l’évolution vers plus d’autonomie ne se fasse pas au détriment des droits des salariés.
3 priorités d’action pour le CSE
1. Exiger une transparence totale sur les systèmes numériques
- Quelles données sont collectées ?
- À quelles fins ?
- Avec quels impacts sur l’évaluation ou la charge de travail ?
2. Renforcer la prévention des risques psychosociaux
- Isolement en télétravail
- Hyper-connexion
- Pression algorithmique
- Perte de sens liée à l’automatisation
3. Accompagner la montée en compétences
- Formations aux outils d’IA
- Développement des compétences transversales (analyse, prise de décision, créativité)
- Anticipation des évolutions des métiers
Conclusion : un Code du travail à moderniser, un CSE à renforcer
Le Code du travail demeure un cadre robuste, mais il doit évoluer pour intégrer clairement l’impact du numérique et de l’IA sur la relation de travail. La subordination ne disparaît pas : elle se transforme.
Dans cette transition, les élus du CSE ont un rôle déterminant pour défendre les droits des salariés, anticiper les risques et accompagner les transformations.
Besoin d’analyser l’impact de l’IA ou du télétravail dans votre entreprise ? Les experts CEOLIS accompagnent votre CSE dans l’étude des organisations, de la charge de travail et des risques associés. Contactez-nous pour un diagnostic personnalisé.
Didier FORNO
Assistance du CSE
CEOLIS
Publié le 09/12/2025