Introduction
L’intelligence artificielle (IA) connaît une ascension fulgurante. En quelques mois, elle s’est imposée au cœur des entreprises et des administrations, transformant les métiers, les organisations et les équilibres économiques. Mais cette révolution technologique soulève une inquiétude majeure : sommes-nous en train d’entrer dans une ère de destruction massive d’emplois ?

 
L’IA et la suppression d’emplois : état des lieux
Des chiffres alarmants
	- La banque Goldman Sachs estime que l’IA pourrait remplacer jusqu’à 300 millions d’emplois à plein temps.
 
	- Le cabinet McKinsey & Company prévoit entre 400 et 800 millions de travailleurs devant changer de profession d’ici 2030.
 
	- Déjà, dans plusieurs pays, les premiers signes d’un ralentissement du marché du travail sont observés, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis.
 
Une vague mondiale de licenciements déjà en cours
Les chiffres se traduisent déjà par des annonces massives de suppressions d’emplois à travers le monde :
	- Amazon : environ 14 000 postes supprimés dans les fonctions corporate, conséquence directe de la réorganisation autour de l’IA.
 
	- UPS : 48 000 emplois supprimés en 2025, dont 14 000 postes de managers.
 
	- Microsoft, Google, Meta, IBM, Intel : plus de 100 000 suppressions cumulées dans le secteur technologique depuis 2024.
 
Ces chiffres confirment une tendance lourde : l’automatisation ne touche plus seulement les emplois peu qualifiés, mais toutes les strates des entreprises, jusqu’aux fonctions d’encadrement et d’ingénierie.
Les métiers les plus menacés
Les tâches répétitives, administratives ou standardisées sont les premières touchées : saisie de données, secrétariat, comptabilité, logistique, support client.
Mais l’IA ne s’arrête pas là : elle s’invite désormais dans des fonctions qualifiées, comme le marketing, la rédaction, la finance ou la programmation.
 
Pourquoi l’IA provoque-t-elle une telle vague de suppressions d’emplois ?
Un choc de productivité
L’IA permet d’automatiser des tâches complexes à une vitesse et un coût sans précédent. Là où une équipe de dix personnes était nécessaire, un seul salarié équipé d’outils d’IA peut suffire.
Ce gain de productivité, impressionnant, se traduit mécaniquement par des réductions d’effectifs.
Un rythme d’adoption inédit
Contrairement aux révolutions précédentes (électricité, informatique, Internet), l’IA a été adoptée en quelques mois à l’échelle mondiale.
Trois facteurs expliquent cette accélération :
	- Des outils immédiatement opérationnels et accessibles au grand public (ChatGPT, Copilot, Gemini…).
 
	- Un coût de déploiement quasi nul, rendant la transition rapide.
 
	- Une pression concurrentielle extrême : ne pas utiliser l’IA, c’est risquer d’être dépassé.
 
Jamais une innovation n’avait transformé les organisations à une telle vitesse. L’IA ne s’installe pas progressivement : elle remplace, immédiatement et massivement.
 
Une erreur d’analyse : l’IA n’est pas une simple « révolution industrielle bis »
De nombreux responsables politiques ou économistes estiment que, comme lors des précédentes révolutions technologiques, les emplois supprimés par l’IA seront compensés par d’autres.
Cette idée est séduisante mais fondamentalement fausse.

Les machines de la révolution industrielle augmentaient la force de travail. L’informatique améliorait la productivité.
L’IA, elle, remplace l’humain — non seulement dans les tâches manuelles, mais aussi dans les fonctions cognitives, créatives et décisionnelles.
Le différentiel entre emplois détruits et emplois créés est hors de proportion, et aucune dynamique de « rééquilibrage naturel » ne semble en mesure de le compenser.
Nous ne vivons pas une évolution du travail, mais une rupture de modèle : pour la première fois, la machine accomplit des tâches pour lesquelles la présence humaine n’était pas seulement utile, mais indispensable.
 
Des sociétés fragilisées face à une transformation trop rapide
Nos sociétés ne sont pas prêtes à encaisser un changement d’une telle brutalité.
Les systèmes éducatifs, les politiques de l’emploi et les dispositifs de reconversion reposent sur des cycles longs, alors que la mutation de l’IA se mesure en mois.
Ce décalage crée un risque majeur de fracture sociale : précarisation, perte de repères, montée de la colère.
Sans anticipation, les tensions économiques pourraient se muer en mouvements sociaux d’ampleur, voire en crises politiques profondes.
Jamais l’écart entre la vitesse du progrès technologique et la capacité d’adaptation humaine n’a été aussi grand.
 
Un tournant économique et social
L’intelligence artificielle modifie la nature même du travail.
Dans de nombreuses entreprises, l’humain devient un superviseur de machines intelligentes, et non plus un acteur central de la production.
Cette évolution interroge la valeur du travail, la rémunération et le sens de la contribution individuelle dans une économie où la machine peut accomplir la majorité des tâches à moindre coût.

 
Vers un nouveau pacte social : rémunérer sans travail ?
Si l’IA continue à remplacer les humains à ce rythme, une question fondamentale émergera : faut-il rémunérer les individus indépendamment de leur travail ?
Nos sociétés reposent sur le principe selon lequel l’emploi génère le revenu. Mais si ce lien se rompt, le revenu universel deviendra une option incontournable.
Il ne s’agit pas de « payer les gens à ne rien faire », mais de préserver la cohésion sociale dans un monde où la productivité est assurée par les machines.
Refuser d’aborder cette question reviendrait à laisser s’installer un déséquilibre explosif entre une minorité ultra-productive et une majorité exclue du système économique.
 
 
Conclusion
L’intelligence artificielle n’est pas une évolution du travail : c’est une rupture de civilisation.
Jamais une technologie n’aura autant bouleversé les fondements de l’économie, la structure des entreprises et la place de l’humain.
Si elle ouvre des perspectives immenses en matière de productivité et d’innovation, elle pose aussi une question essentielle : que devient la société quand le travail humain n’est plus nécessaire ?
La réponse à cette question déterminera l’avenir économique, social et politique du XXIᵉ siècle.
L’IA n’est pas seulement une révolution technologique : c’est un test de notre capacité collective à redéfinir le sens du travail et de la solidarité.
Didier FORNO
Expert-comptable spécialisé dans les CSE
CEOLIS
			Publié le 04/11/2025