En droit du travail, le principe de loyauté est souvent associé à l’employé, mais qu’en est-il de l'employeur ? En effet, si l’employé a l’obligation d’être loyal envers son employeur, l’inverse est tout aussi vrai. La jurisprudence reconnaît de plus en plus le devoir de l'employeur de se comporter avec loyauté envers ses employés et envers les représentants du personnel. Dans cet article, nous explorerons cette obligation de loyauté et donnerons quelques exemples concrets pour illustrer son importance, notamment, une jurisprudence récente concernant la négociation d’un accord de performance collective (APC).

L’obligation de loyauté envers les salariés : qu’est-ce que c’est ?

L'obligation de loyauté impose à l'employeur de ne pas agir d'une manière qui pourrait porter préjudice à l'employé, que ce soit dans l'exécution de son contrat de travail ou même après la fin de celui-ci. Elle découle directement du principe général du droit civil selon lequel les contrats doivent être exécutés de bonne foi.

Comment se manifeste-t-elle concrètement ?

Plusieurs situations peuvent illustrer l'obligation de loyauté de l'employeur envers ses employés :

  • Non-divulgation d'informations personnelles : L'employeur est tenu de respecter la confidentialité des informations personnelles de ses employés. Par exemple, il ne peut pas révéler des détails sur la santé d'un employé à d'autres collègues sans son consentement,
  • Protection contre le harcèlement : L'employeur doit veiller à ce que l'environnement de travail soit exempt de toute forme de harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel.

 

L'obligation de loyauté envers les représentants du personnel : qu’est-ce que c’est ?

En matière de négociation avec les représentants du personnel, l'obligation de loyauté prend une dimension particulière et essentielle. L'employeur doit s'assurer que les échanges avec les instances représentatives du personnel (IRP) sont transparents, sincères et qu'ils ne contreviennent pas à l'éthique.

Concrètement, cela signifie que l'employeur est tenu :

  • D’information et consulter : Dans certaines situations, l’employeur est tenu d'informer et de consulter les représentants du personnel. C'est le cas, par exemple, en cas de restructurations ou de changements majeurs dans l'entreprise,
  • D'informer de manière complète et transparente : Les informations transmises aux IRP doivent être exactes, complètes et fournies en temps utile pour permettre aux représentants du personnel d'exercer pleinement leur rôle,
  • D'éviter tout comportement trompeur : Par exemple, masquer ou minimiser des informations essentielles lors de discussions sur des restructurations d'entreprise serait considéré comme une violation de cette obligation,
  • De respecter les accords conclus : Une fois qu'un accord est signé, l'employeur doit le respecter scrupuleusement. Tout manquement à cet égard pourrait être perçu comme un acte de déloyauté.

 

La loyauté des négociations d’un accord de performance collective

Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un arrêt récent (TJ Paris, 20 juin 2023, n° 22/04785) aborde cette question de la loyauté, dans le cadre de la négociation d’un accord de performance collective (APC).

Dans une société X, un accord de méthode est signé entre l’employeur et deux syndicats (UNSA et CGT), afin d’encadrer de futures négociations, dont un accord de performance collective. La crise sanitaire de la Covid-19 n’ayant pas permis de tenir le calendrier initial, un avenant à l’accord est signé, pour échelonner les négociations. Quelques mois plus tard, l’employeur adresse un mail au seul syndicat UNSA, l’invitant à finaliser l’accord. Ce qui est fait quelques jours plus tard, UNSA étant majoritaire.

La CGT conteste la validité de l’accord, n’ayant pas été conviée à la dernière réunion de négociation et n’ayant pas eu connaissance des dernières modifications de celui-ci. Selon le syndicat, l’accord doit être annulé pour manquement à l’obligation de loyauté.

Le Tribunal judiciaire de Paris donne raison à la CGT, étant établi que les négociations se sont tenues (avec les syndicats) de manière séparée. Le tribunal précise : « La déloyauté que caractérise l’existence de négociations séparées invalide par elle-même l’ensemble du processus de négociation et ce d’autant, comme en l’espèce, qu’il n’existe que deux syndicats représentatifs dans l’entreprise, que le syndicat CGT est minoritaire et que la seule signature du syndicat UNSA suffit à conférer sa validité à l’accord collectif ».

En matière d’APC, les juges sont encore plus attentifs aux manœuvres déloyales de l’employeur car comme le rappelle le Tribunal judiciaire de Paris : « le procédé déloyal doit être apprécié avec une particulière vigilance par le juge au regard de la nature de l’accord de performance collective, qui est dérogatoire au droit commun puisqu’il permet de licencier les salariés qui refusent son application sans appliquer la législation du licenciement pour motif économique ».

 

La jurisprudence regorge d'exemples où des employeurs ont été sanctionnés pour avoir manqué à cette obligation de loyauté envers les représentants du personnel. La loyauté dans la négociation est non seulement une obligation juridique, mais aussi une garantie pour un climat social apaisé et constructif dans l'entreprise.

Didier FORNO

Assistance juridique du CSE

CEOLIS

Publié le 09/08/2023