Les conseils de prud’hommes de Troyes, d’Amiens et de Lyon ont écarté l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mis en place par les ordonnances «Macron».

Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l'indemnité à la charge de l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le montant est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l'ancienneté du salarié.

Ce barème avait soulevé la polémique. En effet, celui-ci aboutissait à traiter tous les litiges aux prud’hommes de la même façon (sans tenir compte des spécificités de chaque affaire) et à déposséder les juges de leur pouvoir d’appréciation.

Le conseil de prud'hommes du Mans puis celui de Troyes viennent de se prononcer sur ce nouveau dispositif, en s’appuyant sur :

  • l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, selon lequel, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
  • l’article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit que, « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Le conseil de prud’hommes de Troyes juge, que le barème d’indemnités est contraire à la convention précitée de l’OIT et ajoute qu’il viole, par ailleurs, la charte sociale européenne.

Il retient deux arguments à l’appui de cette décision :

  • d’une part, le juge considère que l’article L 1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ;
  • d’autre part, il estime que ce barème ne permet pas non plus d’être dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié et qu’il est donc en porteà-faux avec une décision du comité européen des droits sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la charte.

Le conseil de prud’hommes en conclut que ce barème sécurise davantage les fautifs que les victimes et est inéquitable.

Dans l’espèce jugée par le conseil de prud'hommes de Troyes, l’application du barème est donc écartée. Le salarié ayant obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur s’est vu accorder 9 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ayant 2 ans d’ancienneté, il n’aurait pu prétendre au maximum, en application de ce barème, qu’à une indemnité de 3,5 mois de salaire.

Les conseils de prud’hommes d’Amiens et de Lyon ont ensuite écarté à leur tour l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans une décision du 19 décembre 2018, le juge d’Amiens estime que l’indemnité de 0,5 mois de salaire à laquelle le salarié pouvait prétendre en application de ce barème, compte tenu de sa faible ancienneté et de l’effectif de l’entreprise inférieur à 11 salariés, ne peut être considérée comme étant appropriée et réparatrice de son licenciement abusif. Il en conclut que notre droit est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT signée par la France.

Dans une décision rendue 2 jours plus tard, le conseil de prud’hommes de Lyon, sans même faire expressément référence au barème, accorde à un salarié, dont le contrat avait été abusivement rompu au bout d’un seul jour, une indemnité égale à 3 mois de salaire. Il juge en effet que l’indemnisation doit être évaluée à la hauteur du préjudice subi conformément à l’article 24 de la charte sociale européenne.

Le barème obligatoire d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était présenté comme l’une des mesures devant sécuriser les ruptures du contrat de travail. Au vu de ces premières décisions rendues par les juges, il n’en est rien !

Publié le 14/01/2019